Les bobos
J’ai bien failli y perdre mes plumes, mon long bec, et le masque de mon arrogance – qui n’est qu’un masque trompeur fait pour me donner de l’importance et inspirer le respect tout autour, la nature en a voulu ainsi, chacun ses défenses !
J’ai bien failli même y perdre mes pattes, mon ventre et mes yeux, tout perdre de cette vie-ci. Et qui sait ce que m’aurait réservé la prochaine ? Aurais-je pris du poids, me serait-il poussé deux bras, un nez et une soi-disant intelligence ? Serais-je devenu homme ? Mais non, je vais continuer à habiter dans ce beau corps de cormoran, léger, agile à prendre les courants, prompt à capturer les poissons, continuer à méditer tout en volant aux quatre vents.
Si j’ai failli mourir – mais il le faudra bien un jour – ce ne sera pas encore pour cette fois-ci, et j’aurai encore l’occasion de vous raconter les histoires que mon grand-père le Vieux Cormoran me racontait, tous deux bien calés sur l’abrupt de nos falaises, face à la mer, noyés dans l’or du jour finissant.
Si je suis étonné aujourd’hui c’est de ce souffle qui soulève mes plumes tandis que je me promène, à mi-hauteur, entre deux airs, goûtant tour à tour la fraîcheur, la tiédeur, puis encore la fraîcheur de ces vents chargés d’embruns. C’est de ce grand silence si vibrant de la mer, qui paraît faite d’une matière si compacte d’où je suis, alors même qu’il me suffirait d’y plonger pour la pénétrer. C’est de cette heureuse fatigue qui engourdi mes ailes, de plus en plus souvent lasses de mouvoir tout ce poids contre l’abîme qui voudrait m’aspirer, qui m’aspirera un jour quand il me faudra m’y abandonner.
Mais pour l’heure, ayant frôlé une de mes fins, la vie me semble plus précieuse et plus belle encore. Rescapé d’un « bobo » qui aurait pu m’être fatal, je m’en sens grandi et plus sage, ralenti, mais bien heureusement abandonné à la Providence.
Et, au bout du compte comment comprendre nos épreuves, si tant est qu’il y ait quelque chose à comprendre, mais bien plutôt à sentir leur sens, le message dont elles sont porteuses ? En tant que cormoran, je ne me sens pas fautif, et n’ai donc besoin d’aucune souffrance rédemptrice… mais si j’étais homme ? Si j’étais homme, je chercherais inlassablement dans le fond de mon cœur, ce puits de Lumière pour m’y délecter, m’y apaiser et justifier ma pauvre vie. Je m’essaierais à accueillir les souffrances comme des cadeaux qui me feraient entrevoir cette Lumière plus accessible, plus douce. Je m’appliquerais à oublier ma peur, pour mieux accepter ma souffrance, lui donner sens et me libérer plus encore. Si j’étais homme, je ne serais pas plus raisonnable que mes frères les autres hommes, mais j’essaierais, oui, j’essaierais…
Mais je suis Cormoran et suis né en acceptant.
***
Toujours aussi beau ! Ce n’est pas simple de comprendre nos « bobos » et encore moins de les accueillir comme des cadeaux, ils ont sans doute une raison d’être …
bises Claudine
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Je ne voudrais pas avoir l’air de donner des leçons, mais j’ai remarqué que pour moi, les épreuves ont toujours un côté salutaire. Bien sûr, je n’ai pas eu à subir comme certains des épreuves qui m’ont submergé au point de perdre toute confiance en la vie…
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Quel beau texte ! Ce n’est pas simple de comprendre « nos Bobos » …. Ils ont peut-être une raison d’être ?
Bises Claudine
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Un grand merci pour ce message d’Espoir, cet élan de Vie et de Joie…. à bientôt.. je t’embrasse
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Bravo ! Beau texte, très profond. Une soeur de coeur .
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Tres beau texte qui m’émeut. Prends bien soin de toi, et continue d’écrire, écrire, encore écrire.
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